Lors de la très belle vente Artcurial qui s'annonce dans le cadre de Rétromobile, les amateurs de racers d'exceptions vont retrouver au milieu des autos un petit bijou du motonautisme
italien.
Texte du catalogue :
"Contrairement à certaines idées reçues, Enzo Ferrari n'était pas opposé à l'engagement de ses moteurs en compétition motonautique, un sport qui avait alors un grand rayonnement international dans les années 1950. C'est ainsi qu'entre 1952 et 1953, pas moins que trois records du monde officiels de vitesse furent battus par des racers équipés de moteurs Ferrari V12. Mais ce n'était pas pour la conquête des records que le pilote helvético-italien Augusto Schapira commanda au chantier Guido Abbate un nouveau racer équipé d'un moteur Ferrari 4 cylindres pour la saison 1954 des courses de championnat sur circuit entre bouées. Ce chantier fut fondé par Guido Abbate en 1946 sur le lac de Côme avec, dès l'origine, une vocation résolument tournée vers la compétition et de nombreux succès. En quelques années, Abbate détenait déjà 8 records du monde dont 2 avec des moteurs Ferrari V12, conquis entre 1951 et 1953, sans compter d'innombrables victoires en circuit.
Antarès II est, à ce jour, l'un des trois seuls racers à moteur Ferrari en existence et le seul équipé d'un moteur à quatre cylindres et n'a eu que quatre propriétaires depuis sa construction.
La coque d'Antarès II
Dès l'après deuxième guerre mondiale et jusqu'au début des années 1970, la compétition motonautique fut dominée par les coques de racer (généralement monoplaces) dites " à trois points ". Cette expression vient de l'architecture de ces bateaux possédant deux larges flotteurs latéraux à l'avant tandis que l'arrière se termine par une partie plus fine portant l'hélice et le gouvernail. Dès que le bateau a atteint sa vitesse de sustentation à la surface de l'eau, la coque ne repose plus que sur trois points, c'est à dire l'extrémité des deux flotteurs latéraux et la pointe de l'hélice à l'arrière. On comprend que cette forme est destinée à réduire au maximum le contact et la friction de l'eau sur la coque, permettant ainsi d'atteindre les plus hautes vitesses.
Les formes d'Antarès II sont originales pour un racer italien car fortement inspirées par les lignes des racers américains du début des années 1950 tels que les Lauterbach qui dominaient la compétition aux Etats-Unis. A l'époque, dans le motonautisme, tout de ce qui venait d'Outre Atlantique était considéré comme supérieur. Carlo Riva lui-même suivit cette tendance à ses débuts en allant chercher ses moteurs en exclusivité chez Chris-Craft dans le Michigan dès 1953. Cette influence américaine se manifeste, entre autres, par un pont à deux niveaux avec des lignes tendues et très marquées contrairement aux bateaux italiens généralement plus arrondis. Sous la carène, le fond des flotteurs est lui aussi à deux niveaux pour favoriser l'arrivée d'air sous la coque et donc la sustentation. Avec ses caractéristiques originales, Antarès II n'a d'équivalent, à son lancement en 1954, que le racer Abbate Laura 1er du grand champion et recordman du monde Mario Verga dans une catégorie de cylindrée plus élevée et dont il n'existe plus qu'une réplique dans un musée.
Le moteur Ferrari d'Antarès II
Le moteur d'origine fut spécialement construit pour le bateau d'Augusto Schapira sous la désignation " Motoscafo Tipo 700 " avec le matricule 0430 et passé au banc à Maranello le 14 avril 1954. Ce 4 cylindres Ferrari avait une cylindrée de 2,8 litres pour correspondre à la catégorie internationale " M " des racers à coque trois points.
Le dossier Ferrari d'origine indique que ce moteur fut monté à partir d'un bloc de 735. Sa puissance au banc était de 223 ch. à 6000 t/mn. On sait que pendant la saison 1954, la Scuderia Ferrari ne cessa d'utiliser tour à tour son modèle 500 F2 spécialement adapté à la F1, puis la 553 de 2,5 litres construite pour ce championnat et jusqu'à la 625 F1, afin de contrer l'offensive de Mercedes. C'est ainsi qu'on put voir, lors de certaines courses, l'apparition de voitures hybridées entre la 553, la 625 et même la 735 avec des pilotes comme Froilan Gonzalès, Nino Farina, Alberto Ascari et Mike Hawthorn. Adapté de la F2 à la F1 pour la saison 1954, le même type de moteur Lampredi fut monté également dans les monoplaces 625 F1 et 555 F1 Super Squalo (1955-1956).
Carrière sportive du bateau
Augusto Schapira débute sa saison 1954 au volant de son racer Abbate le 20 juin sur le circuit de l'Idroscalo de Milan lors des essais du Trofeo Campari. La presse salue l'entrée en scène de ce nouveau concurrent, le nom Ferrari retenant bien évidemment l'attention des observateurs qui remarquent ce moteur 3 litres à la cylindrée réduite pour entrer dans la catégorie des 2,8 litres. Pendant la course très disputée, Schapira doit abandonner en raison d'une écope de refroidissement d'eau cassée.
Une semaine plus tard, les ténors de la classe des 2,8 litres, la catégorie reine à l'époque, se retrouvent à Turin. Ils ont pour nom Ezio Selva, Oscar Scarpa, Liborio Guidotti et Augusto Schapira. Son Antarès II termine à la troisième place, un bel exploit quand on considère la valeur et la longue expérience de ses opposants.
Le 2 août 1954 a lieu la grande épreuve de Stresa sur le lac Majeur. Schapira reste longtemps en tête, n'étant finalement dépassé que par Selva vers la fin. Le 12 septembre, le Championnat d'Europe se déroule à Campione d'Italia. Après une course mouvementée, Schapira termine une fois de plus à la troisième place, un exploit pour ce gentleman driver derrière deux grands professionnels.
Au début de la saison 1955, la catégorie " M " des 2800 cc fut transformée en catégorie 2,5 litres d'un poids de 500 kg. Schapira continuera à participer à quelques compétitions dont le Grand Prix d'Italie mais seulement admis dans la catégorie de cylindrée supérieure avec donc moins de chances de succès. On ne trouve plus trace des participations du racer à moteur Ferrari de Schapira après la saison 1955. Cet industriel, très pris par ses affaires industrielles en pleine expansion, se retira de la compétition. On notera que Schapira s'adressa au chantier de Guido Abbate avec l'intention de pouvoir monter, dans le même bateau, soit son 4 cylindres Ferrari soit un V12 Colombo 166MM de 2 litres. Ce montage d'un V12 dans Antarès II n'est cependant pas avéré. En revanche, la fiche de suivi du moteur chez Ferrari indique une révision commandée par Schapira et exécutée à Maranello le 10 mars 1956.
Après la compétition
Après 1956, la bateau fut remisé et conservé par son propriétaire, industriel du textile installé à Varèse, non loin du lac Majeur. Au début des années 1970, il le vendit à un collectionneur italien d'automobiles, passionné de Ferrari. A l'époque, aucun amateur ne s'intéressait au passé des bateaux de course des années 1950 mais seulement à leurs moteurs prestigieux. De nombreuses coques ayant connu la gloire furent dépouillées de leurs moteurs afin de permettre la restauration de voitures de course telles que Maserati, Alfa Romeo et Ferrari. C'est ainsi que le moteur Tipo 700 d'Antares II quitta l'Italie, fit un passage par la France avant de partir en Angleterre. Il est probable qu'une Ferrari de sport ou monoplace du milieu des années 1950 ait été équipée de ce moteur.
Une quinzaine d'années plus tard, dans les années 1990, alors que la restauration des bateaux de compétition entra dans une phase active chez plusieurs passionnés d'automobile, le propriétaire d'Antarès II et fin connaisseur de l'histoire de Ferrari se décida à remettre un moteur dans sa coque. Il trouva dans le célèbre atelier Sport Auto de Diena & Silingardi à Modène un rare moteur de 553 F1 correspondant le mieux aux caractéristiques du moteur d'origine. Le moteur Ferrari qui équipe Antares II depuis plusieurs décennies est un Tipo 106 aux caractéristiques suivantes :
Tipo 106
Concepteur : Aurelio Lampredi, 4 cylindres en ligne, double allumage, 2 magnétos Magneti Marelli,
2498 cm3, 260 ch. à 7200 t/mn, 2 carburateurs horizontaux double corps Weber 58 DCOA3.
Ce type de moteur fut mis au point pour la saison 1954 à destination de la monoplace 553 F1 Squalo ayant pour origine celui de la monoplace 553 F2 de 2 litres et 180 ch. (1953-1954) On notera que le montage de deux double carburateurs Weber 58 DCOA3 n'était pas généralement utilisé sur les monoplaces qui étaient plutôt équipées de Weber 50 DCOA3 mais ne fut monté, à l'époque, apparemment que sur la 750 Monza de 3 litres et 250 ch.
Restauration
Dans ces même années 1990, la coque fut restaurée au chantier de Giancarlo Dalo à Côme. Cet expert de la restauration des racers fut, pendant de nombreuses années, contremaître au chantier d'Angelo Molinari qui produisait, au début des années 1960, parmi les coques les plus innovantes qui dominèrent les épreuves de l'époque. Dûment restauré, Antarès II entra ensuite dans une importante collection française d'automobile, dispersée il y a quelques années dans le cadre d'une succession. Le racer à moteur Ferrari F1 fut alors acquis par un passionné de la marque basé dans le sud de la France.
On notera qu'aucun des deux propriétaires successifs après que le bateau ait retrouvé une mécanique digne de lui ne touchèrent à quoi que ce soit pouvant affecter l'avenir de cette pièce unique. Ce fut une excellente décision car l'intervention du restaurateur dans les années 1990 avait été volontairement limitée pour altérer le moins possible l'authenticité de l'objet. On leur en sait gré aujourd'hui car cela a permis de préserver un ensemble avec de très nombreux éléments d'origine, non seulement dans la structure, les ponts et les carénages en aluminium typiques de l'époque mais jusque dans le cockpit de monoplace dont les couleurs, les odeurs, le volant et la sellerie sont une invitation à l'embarquement immédiat."
Vente du 7 février à Rétromobile
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